Caroline CHLOÉ

Ancienne étudiante du master Design Graphique et d’Interaction promo 2018

Propos recueillis par Emilia Boutrouille

« Je me suis dit : si je dois me reconvertir, je reprends des études de graphisme. C’était le moment ou jamais. »

Quel est ton parcours scolaire ?

J’ai un parcours atypique, j’ai fait des études de lettres. En commençant par un BAC L puis un DEUG de lettres modernes. J’ai ensuite suivi une Licence de lettres modernes puis une maîtrise et enfin un DEA dans le même domaine. À l’époque ce n’était pas encore des master. Il fallait obtenir une maîtrise et un DEA pour arriver au Bac +5.

J’abordais  des  sujets  liés  au  travail graphique, je travaillais sur des artistes à la fois auteurs, compositeurs, interprètes mais surtout graphistes qui créaient toute leur iconologie, leurs pochettes de disque etc. Et sur ces travaux là je  travaillais  sur  l’expressionnisme allemand, et ensuite j’ai fais des boulots alimentaires en essayant de passer des concours,  mais  inconsciemment  ça ne m’intéressait pas donc j’ai travaillé en tant qu’assistante d’éducation, en secrétariat à la fac, et arrivée à la fin de mon contrat – j’avais 35 ans – et je me suis dis « si je dois me reconvertir, j’avais l’idée de reprendre des études de graphisme, et bien c’est le moment ou jamais.». C’est à ce moment là que j’ai postulé pour le master DGDI. Le responsable du master était à l’époque David Bihanic, j’ai passé un entretien auprès de lui. Je manquais de beaucoup d’acquis, donc j’ai fait une licence 3 parcours «créa num» et suite à ça j’ai postulé pour le master DGDI.

Tu n’as donc pas de regret sur ton parcours initial.

Non, je n’ai pas de regret sauf par rapport à mon insertion professionnelle, car tu es dans une société où plus tu arrives jeune dans un marché mieux c’est pour toi. À la base je ne souhaitais pas forcément être ici en indépendante, mais ce qui était bien si je ne trouvais pas de travail c’était de ne pas être sans rien.

Qu’est ce qui t’as fait aimer le graphisme et qui t’a menée là où tu es aujourd’hui ?

J’ai toujours été passionnée par tout ce qui concerne l’iconologie et ceux que peuvent transmettre les images. Ce qui m’intéressait dans les lettres c’étaient les métaphores, tout ce qui était très visuel, en parallèle de mes études j’ai toujours construit une culture graphique et je pense que ce qui m’a amenée là c’est cet intérêt personnel. Je fais partie d’une génération où on était très dans l’analogique. Dans la musique pendant mon adolescence, malgré l’arrivé des cd, je connaissais les vinyles. Mon intérêt pour le graphisme vient notamment du travail effectué par Vaughan Oliver qui a créé l’identité visuelle de la maison de disque 4AD.

Je porte aussi de l’intérêt au monde de la bande dessinée. Cet art alliant pour moi images et textes. Je ne reste donc pas loin du monde des lettres.

Quels ont été les apports de ta formation dans le master ?

J’ai trouvé que c’était solide en termes de connaissances et d’ouverture. J’ai continué dans le design graphique pour notamment sur tout ce qui touche au design éditorial, mais ça m’a permis de voir tout ce qui touchait à l’UI / UX, le Web design entre autres.

Après ton master, qu’elles ont été les différentes étapes dans ta recherche d’emploi ?

J’ai eu énormément de mal à trouver un stage en Master 2. Je pense que le fait que j’ai un parcours atypique et mon âge ont effrayé certaines personnes. J’ai fini par trouver mon stage et c’était au Crous  d’Amiens. J’ai beaucoup aimé car j’ai pu montrer ce dont j’étais capable. Ça s’est très bien passé avec ma responsable de stage, elle me laissait prendre des initiatives. En plus j’avais un côté «couteau suisse», je ne voulais pas totalement abandonner la photo ou ce genre de choses, donc j’ai travaillé au sein du service communication et j’ai pu faire de la photo, du design graphique et du montage, c’était vraiment super. Mon stage s’est ensuite arrêté, il a duré 4 mois, et ensuite il y a eu la soutenance. J’ai été reprise pour un CDD de 4-6 mois de nouveau au Crous d’Amiens. Ensuite, je suis revenue chez moi dans le Nord. J’ai un peu soufflé et en parallèle je me suis dit qu’en attendant de trouver un poste, j’allais prendre un statut de micro- entrepreneur. Et ça a démarré quasiment tout de suite parce que quelqu’un que j’avais rencontré m’a appelé et m’a dit « Écoute je ne fais que du web, j’ai un client qui me demande si je peux lui faire un stand ». Par contre après, j’ai cherché un poste fixe que je n’ai pas trouvé et j’ai levé un peu le pied à cause de soucis de santé. Ensuite est arrivée la crise du covid qui a freiné beaucoup de choses.

Personnellement  je  suis  bloquée géographiquement, mais je continue à chercher, je surveille les offres d’emplois.

« Si j’ai un conseil à te donner […] c’est quand même d’avoir une expérience en entreprise. C’est formateur en terme de travail  techniquement,  et de voir comment ton travail peut être rentable. »

Quelles sont les démarches que tu as menées avant de créer ta micro-entreprise ?

Si j’ai un conseil à te donner c’est d’avoir une expérience en entreprise avant de passer au statut de freelance. Quant au statut de micro-entrepreneur il peut servir de filet de sécurité quand on ne trouve pas d’emploi en tant que salarié. C’est hyper formateur et je le vois avec des gens avec qui je reste en contact dans  ma  promo.  C’est  formateur techniquement mais aussi afin de voir comment ton travail peut être rentable. C’est aussi pertinent vis à vis de la psychologie des clients. Après mon CDD à Amiens, quand je suis revenue dans le Valenciennois, j’ai suivi des ateliers à la Serre Numérique qui étaient menés par des professionnels. Ce qui manquait dans la formation, c’est une petite partie juridique, par exemple sur la cession de droits et autres. Dans ces ateliers on abordait des thématiques liées au juridique, des choses liées au marketing et à la psychologie des différents types de clients que tu peux rencontrer. Il y avait un atelier auquel j’ai participé lié aux communiqués de presse, ça peut toujours être utile si tu veux grimper dans les services de communication, même si ce n’est pas ton taf premier. Surtout toi avec un bagage au niveau de l’écriture. Il est important aussi de se créer un réseau. Le bouche à oreille étant important pour décrocher des contrats.

Est-ce que tu aurais une fourchette à me donner au niveau du prix que tu demandes pour les projets ?

J’ai fait la bêtise de démarrer un peu bas parce que je ne savais pas trop quels tarifs appliquer. J’ai démarré à 250 € par jour suite à des recherches faites en ligne. Mais pour moi c’est terminé. J’estime que j’ai plus d’expérience et de savoir-faire. Mes prochains contrats ne seront plus tarifés en dessous de 350 € par jour. Le tarif restant variable selon l’urgence du travail à effectuer et s’il doit être réalisé le week-end par exemple.

Il existe une différence entre chiffre d’affaires et bénéfices. Une fois les taxes ôtées prélevées, les dépenses de fonctionnement payées il doit te rester suffisamment de bénéfices pour pouvoir vivre de ton travail.

Au niveau des relations en entreprises, tu as réussi a te faire des contacts par  rapport  à  tes  précédentes expériences ?

Pas suffisamment, je commençais à m’en faire puis est arrivée la crise du covid et comme je te disais mes soucis de santé, il m’a fallu beaucoup de repos donc c’est encore en stand-by. Par contre je garde contact avec 2-3 personnes de la promo et ça c’est toujours très intéressant, on  échange  beaucoup  d’ailleurs  on parle beaucoup boulot. Enfin moi un peu moins, mais ça n’empêche pas de parler de l’actualité, des dernières tendances et du comportement des clients. Ici il n’y a pas longtemps, j’ai reçu un mail d’une personne en UX qui me demandait mon avis sur un logo. Elle me disait « T’en penses quoi ? » et voilà, on échange beaucoup et ça c’est bien, si tu as l’occasion de garder contact avec ta promo. Après je sais que au départ ce n’est pas facile, si vous venez d’horizons différents et puis les liens c’est pas toujours évident à créer.

Je parle souvent avec une des personnes de ma promo avec laquelle nous ne partageons pas toujours les mêmes points  de  vue,  c’est  extrêmement enrichissant.

Tu es polyvalente dans ton métier, est-ce que tu as fait des formations pour gérer la comptabilité, etc ?

Alors non, parce que je suis sur un statut qui est lié au libéral. Si j’étais liée à l’artisanat il aurait fallu que je fasse une formation à la chambre de commerce et d’industrie. Je reste sur une offre de service, je n’ai donc pas eu à suivre cette formation.

Quelles  sont  tes  missions aujourd’hui ?

Aujourd’hui je n’en ai pas. Mais j’ai fait beaucoup de mises en pages dossier avec aussi des créations de visuels de couvertures. Les gros contrats que j’ai eu relevaient de la mise en page. J’ai aussi fait des logos, une entreprise m’a proposé de faire moderniser leur logo. Intellectuellement ça reste intéressant car tu dois faire évoluer quelque chose de déjà créé.

Or j’ai dû échanger avec une autre personne qui, je le suppose, n’avait jamais travaillé avec un graphiste.

Il y avait énormément de changements à effectuer au niveau du texte alors que la mise en page était faite. Les modifications à effectuer m’arrivaient sous fichier word. Je ne retrouvais donc plus dans ma mise en page ce que je devais modifier.

C’est pourquoi maintenant dans mon devis  et  mes  conditions  générales de vente j’indique que je n’accepte uniquement  les  modifications  qu’à partir du fichier PDF que je fournis pour relecture. Ça peut aller très vite, en 4 jours je fais les visuels et la mise en page mais avec ces petits ajustements c’est plus long.

Dans mes devis je mets une mention avec un astérisque en disant que si le temps et supérieur le tarif augmente. C’est donc à eux de faire en sorte de fournir ce qu’il faut pour économiser (rire).

Est-ce que tu as gardé des conseils et méthodologies de cours ?

Oui bien sûr, et il y a aussi des choses qui pour moi paraissaient évidentes de par mon vécu professionnel et autre. Il y a un savoir faire et un savoir être avec les autres et le travail en groupe. Sur des projets ce qu’on dit toujours c’est « Seul on va plus vite, mais à plusieurs on va plus loin ». En partie design graphique essentiellement on avait Lucile Haute qui était la co-responsable avec Samuel Gantier du master. Elle a était de très bons conseils notamment pour la mise en page.

Il  y  a  des  centres  d’intérêts,  des problématiques que je continue à suivre comme l’édition numérique ou l’usage des applications mais de loin.

Est-ce que tu aurais apprécié voir d’autres choses dans ce master ?

La promotion précédant la mienne avait demandé à avoir des cours de dessin. Cette  discipline  permet  d’affiner  le regard et perfectionner ton geste même en travaillant dans le numérique. Cela s’avère très utile quand tu dois réaliser un logo ou créer une illustration car tu gagnes en rapidité. Cela affine aussi ta perception de l’espace. Je n’aurais pas rechigné à avoir quelques heures supplémentaires. Je regrette également de ne pas avoir eu de cours de motion design à l’époque.

Est ce que tu as des sources de satisfactions dans ton travail ?

Ce que j’aime c’est travailler dans un environnement calme, c’est ce qui me correspond. J’aime aussi l’idée d’avoir un «produit» fini, quelque chose de tangible. Je demande d’ailleurs à certains de mes clients de m’envoyer un exemplaire de ce qui a été imprimé. Qui plus est cela est toujours utile pour faire vivre ton book. J’aimais bien aussi travailler avec le Crous et la Confédération Paysanne car cela me fait sentir utile car je promeus des valeurs dans lesquelles je me reconnais. On est pas dans le merchandising. Il y a un message à faire passer. Même si travailler pour un objet publicitaire relevant du merchandising peut être intéressant pour un graphiste.

Au contraire, est-ce que tu as des sources d’insatisfaction ?

Oui. Cela relève souvent d’un problème de  communication.  J’ai  évoqué précédemment  un  problème  de correction rencontré lors d’une mise en page ce qui a occasionné beaucoup de stress. Mon interlocutrice et moi-même sommes restées cordiales mais c’était assez tendu. Je ne lui rejette pas la faute : je pense qu’elle n’avait jamais travaillé avec un graphiste et moi je n’avais pas suffisamment balisé mon devis et par conséquent mes conditions de travail. Depuis j’ai remédié à cela. Il faut savoir se remettre en question.